Interview d'Ethan Nadelmann - Expogrow Irún 2015

Ethan Nadelmann est le fondateur et le directeur exécutif de la Drug Policy Alliance, une organisation basée à New York qui milite pour la fin de la guerre contre les drogues. Décrit par le journal Rolling Stone comme étant "la force conductrice de la légalisation du cannabis en Amérique", Ethan est reconnu comme étant l'un des meilleurs experts des politiques de contrôle des drogues à travers le monde.

Transcription de l'entrevue avec Ethan Nadelmann:

Ethan, vous êtes le fondateur et le directeur exécutif de la Drug Policy Alliance mais quelle est précisément votre motivation ?

C'est essentiellement de mettre fin à la guerre contre la drogue dans mon pays et dans le monde.

C'est à dire basiquement réduire le rôle de la criminalisation,
et du système de justice pénale en matière de politique de drogues, autant que possible, tout en protégeant la santé publique et la sécurité. 

Est-ce que la prohibition, ou la guerre contre les drogues, est issue de l'ignorance ?

Je pense que c'est la combinaison de l'ignorance, de la peur, des préjugés, et du profit.

L'ignorance, dans le sens où ce que les gens pensent au sujet des drogues illégales est totalement erroné et en désaccord avec la science, et par la croyance que ces drogues sont beaucoup plus dangereuses que l'alcool et le tabac ce qui n'est bien sûr pas le cas.

Je parle de préjugés car c'est causé en grande partie par la peur des minorités ethniques, des gens de couleur, des étrangers, tout est lié. 

Si vous demandez dans mon pays et dans beaucoup d'autres pourquoi certaines drogues sont criminalisées et d'autres pas, vous réalisez que ça a vraiment peu de rapport avec les risques et les dangers relatifs de ces drogues, et que c'est en majeure partie lié à ceux qui les utilisent, et à ceux qui sont perçus comme utilisant ces drogues.

La peur ne concerne pas seulement les préjugés, il s'agit aussi de chaque parent qui craint pour son enfant, de cette crainte que leurs enfants vont avoir des problèmes de drogues, et le désir de les protéger par tous les moyens possibles.

Et le profit, au moins dans mon pays, concerne les sociétés de prisons privées, les syndicats de gardes de prison, et tous les autres qui bénéficient de la guerre contre les drogues. 

Comment voyez-vous la situation actuelle en Europe ?

J'avais l'habitude d'observer l'Europe pour leur leadership en matière de politique des drogues dans les années 80 et 90.

Les Hollandais avec leur politique de réduction des risques et leurs coffeeshops, les Suisses avec les sales d'injection d'héroïne sous surveillance et autres politiques de réduction des risques, les Portugais avec la décriminalisation et leur approche de santé publique. 

Ils étaient vraiment une source d'inspiration et j'ai créé mon organisation pour éduquer les Américains avec les meilleures façons de gérer les drogues que les Européens pouvaient nous enseigner.

Ce fut très décevant durant les 15 dernières années car une grande partie de l'Europe parait dire "bon, nous étions leaders dans les années 80 et 90, maintenant laissons quelqu'un d'autre le faire" et les gens perdent leur passion et leur énergie.

Il se passe encore des bonnes choses comme la politique du cannabis en Espagne, et un peu dans d'autres pays, il est bon que la réduction des risques se soit institutionnalisée dans le système politique d'une grande partie de l'Europe, mais je souhaiterais qu'il existe un plus grand dynamisme pour la réforme en Europe.

La question du cannabis a été liée aux droits humains.

Fondamentaux, pourquoi est-il si dur pour les gouvernements et pour les politiciens de comprendre que les gens devraient avoir le droit de choisir leur propre médecine ? 

C'est intéressant, dans quasiment tous les discours que j'ai fait
aux USA et dans les autres pays je dis qu'il existe un principe de base ici celui que les gens ne devraient pas être punis pour ce qu'ils mettent dans leur corps, tant qu'ils ne mettent pas les autres en danger.

Lorsque nous soumettons cette idée, on se fait parfois applaudir,
mais lorsque nous réalisons des sondages aux États-Unis
nous voyons qu'à peine 10% des Américains se soucient de cette question dans une perspective de droits de l'homme ou de libertés civiles.

La plupart des Américains soutiennent maintenant la légalisation
car ils souhaitent arrêter de gaspiller de l'argent dans une politique inefficace, parce qu'ils souhaitent des recettes fiscales ou parce qu'ils veulent arrêter le trafic des gangs.

Ce n'est pas pour les droits de l'homme.

En Amérique Latine et en Europe vous voyez parfois les tribunaux, en Allemagne, en Colombie, au Mexique et dans d'autres endroits, rendre la décision que c'est un droit humain de ne pas être puni pour le médicament ou la substance que vous consommez. 

Je pense que c'est un argument clé pour une meilleure acceptation, mais pour le moment ce n'est pas suffisamment convainquant pour la majorité des gens de mon pays et de la plupart des autres.

C'est bien d'avoir accès au cannabis dans les pharmacies et dispensaires mais qu'en est-il au sujet de ne pas payer le cannabis et de simplement le cultiver chez soi ? 

Nous, aux USA et au sein de mon organisation Drug Policy Alliance,
croyons fermement que ça doit être un droit pour les gens, pas seulement de posséder du cannabis, mais aussi d'avoir le droit de le cultiver pour usage privé.

Et s'ils souhaitent commencer à le vendre alors l'État possède le droit de le réguler, de l'autoriser, et de le taxer.

Nous nous sommes battus pour ça, toutes les initiatives pour le cannabis médical que nous avons fait ont inclus cela, et dans les initiatives pour la légalisation nous avons essayé de faire pareil.

Malheureusement ce qui s'est passé ces dernières années quand nous avons travaillé pour légaliser le cannabis médical, dans des états tels que le New Jersey, New York et d'autres, nous avons constaté que les élus souhaitent interdire le droit de la culture personnelle. 

Et nous avons constaté, par exemple, quand le Colorado et Washington furent les deux premiers États à avoir légalisé le cannabis, le Colorado a inclus le droit de cultiver son propre cannabis, mais l'État de Washington ne l'a pas fait, car les personnes qui ont rédigé le texte avaient peur de perdre l'initiative si c'était inclus.

En Oregon et en Alaska nous l'avons inclus, et nous espérons que toutes, ou que la plupart des initiatives de 2015/2016, l'incluront.

C'est vraiment un problème lorsque nous changeons les lois sur le cannabis à travers un processus d'initiative et de référendum nous faisons toujours de notre mieux pour l'inclure, et c'est seulement si les sondages d'opinion indiquent que l'initiative sera perdue que ça peut ne pas être inclus.

Mais quand vous avez à mener cette bataille avec les législateurs
c'est plus difficile à maintenir. 

Nous avons toujours pensé dire aux politiciens "Les gars, allons faire la guerre contre la pauvreté, ou la guerre à l'injustice, et pas la guerre contre les drogues.

Pensez-vous que nous verrons cela un jour ? 

Depuis de nombreuses années même ceux qui combattent les drogues en Amérique n'utilisent plus les mots "guerre contre les drogues" car ils savent que la plupart des Américains ont compris que la guerre contre les drogues a échoué, qu'elle ne peut pas fonctionner.

Alors ils trouvent un autre langage pour décrire la même politique de guerre contre la drogue.

Notamment pour le cannabis, c'est intéressant aux États-Unis car
désormais une large majorité soutient la légalisation du cannabis,
et nous avons des États qui le font, mais nous avons toujours 600.000 personnes arrêtées chaque année pour du cannabis, il existe donc un décalage.

Il y a certains États qui sont très conservateurs et il y a des policiers qui continuent les arrestations, peu importe ce qui se passe. 

Donc même si l'opinion publique tourne et que les lois changent
il faut du temps pour changer la culture de la police et la culture de l'application de la loi. 

Heureusement grâce à la légalisation, la police n'a plus de lois à appliquer vous voyez donc dans les Etats de Washington et du Colorado une chute spectaculaire des arrestations pour le cannabis.

J'aimerais vous féliciter pour le travail que vous avez fait,
et merci pour cette interview.

Merci beaucoup, et merci pour ce que vous faites.

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