L’institut Vavilov, la première banque de graines du monde
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En plein centre de Saint-Pétersbourg, juste derrière la cathédrale de Saint Isaac, il existe un édifice dont la façade ministérielle de l’époque tsariste ne laisse pas deviner l’importance de la collection quelle héberge derrière ses mûrs. Là-bas, empilées sous des plafonds voûtés et dans de longs couloirs, des armoires en bois stockent les graines de centaines de milliers de variétés de plantes, dont beaucoup ont disparu de leur habitat d’origine ou de leurs zones de cultures. Il s’agit de l’Institut Vavílov, une institution baptisée « le gardien des plantes perdues », un surnom qui illustre parfaitement le rôle qu’il joue en tant que défense contre les nouvelles menaces à la biodiversité mondiale posées par le changement climatique, l’agriculture industrielle et la mondialisation.
Connue de façon formelle comme l’Institut Vavílov de l’Industrie Vegetal (VIR), cette institution a été fondée en 1924 par le botaniste et généticien Nikolái Vavílov, l’un des premiers scientifiques à reconnaître l’importance de la conservation des ressources phytogénétiques. L’institut est la banque de graines la plus ancienne du monde et héberge une inestimable collection de plus de 400 000 échantillons d’espèces végétales différentes. On pourrait dire qu’il s’agit de la collection de génétique végétale la plus grande (et plus ancienne) existante, principalement sous forme de graines méticuleusement cataloguées provenant de toutes les parties de notre planète.
Le département de Cultures Industrielles de l’Institut Vavílov possède également la plus grande collection de plasma germinatif (diversité génétique) de cannabis dans le monde ; et se compose de 397 accessions de graines de cannabis (une accession est un lot de graines d’une espèce qui a été collectée à un certain endroit et à un certain moment) de trois groupes écogéographiques de base : Nord, Moyen et Sud, collectés dans des dizaines de nations depuis plus d’un siècle. La collection représente des variétés de cannabis cultivées sauvages ou traditionnels, mais également des produits issus de programmes d’amélioration des plantes. Et de nombreuses d’entre-elles ne se trouvent dans aucune autre banque génétique.
En condition normale de conservation, les graines de cannabis peuvent se conserver durant au moins 5 ans avant de perdre leur viabilité. Ainsi, maintenir une collection de cannabis comme celle-ci implique de reproduire les génétiques au moins une fois tous les 5 ans.
Après la dissolution de l’Union soviétique, le financement de l’Institut Vavílov a diminué drastiquement, menaçant le maintient de leur collection. Et si les génétiques de cannabis du VIR ne se reproduisent pas, elles s’éteindront sûrement avant que leur vrai valeur soit reconnue. Spécialement au vu de l’intérêt récent pour le cannabis, ce serait vraiment dommage de laisser mourir ce patrimoine génétique.
Surtout, en prenant en compte que ce n’est pas la première fois que l’institut passe par des moments difficiles, résistant aux aléas de l’histoire d’une manière véritablement héroïque.
Les botanistes qui ont choisi de mourir de faim pour sauver leur collection
Afin de nous rendre comptes de son passé épique, il suffit d’apprendre comment sa collection a survécus miraculeusement à la Seconde Guerre Mondiale, quand les scientifiques affamés ont surveillé les importantes réserves de graines afin d’éviter qu’elles soient mangées durant la pénurie d’aliments. En effet, durant le siège de Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), qui dura 872 jours, les travailleurs chargés de surveiller la collection de l’Institut Vavílov se sont retrouvés face à une décision des plus difficiles.
Alors que la ville se préparait à l’attaque des troupes allemandes, les soviétiques évacuèrent des milliers d’œuvres d’art du Musée de l’Ermitage afin de les protéger, mais les fonctionnaires soviétiques refusèrent de protéger une autre collection, de valeur également incalculable et qui représentait alors, cela ne fait aucun doute, la collection de graines la plus importante dans le monde. Avec le directeur de l’Institut, Nikolái Vavílov, enfermé (nous reviendrons sur sa propre épopée par la suite), les scientifiques qui travaillaient là-bas prirent la défense de la collection comme une responsabilité. Ils se réfugièrent avec l’énorme réserve de graines, bouchèrent les fenêtres bombardés du bâtiment et convertirent leur lieu de travail en refuge.
L’hiver de 1941-1942 fut spécialement froid et cruel. Tous les approvisionnements alimentaires de la ville furent coupés. Les bombardements étaient constants. Les gens furent obligés de manger tout et n’importe quoi : des chiens, des chats, des rats, de la terre et même des cadavres humains. Poussé par la faim, des milliers de personnes ont été victimes de cannibalisme, dans le scénario le plus terrifiant de cette bataille irrationnelle qui a coûté la vie à un million d’habitant de la ville.
Les travailleurs de l’Institut Vavilov se mirent d’accord pour faire des tours de garde, protégeant les graines des menaces qui allaient des intrusions jusqu’au rats, mais également leur propre faim. Paradoxalement, les rats ont presque réussi là où les troupes nazi ont échouées. Mais les gardiens de ce trésor si particulier ont été capables de réagir à temps, mettant en place différents stratagème pour maintenir les graines en sûreté des rôdeurs.
À la fin de cette campagne infâme et brutale, plusieurs de ces botanistes et personnels de l’Institut (on estime une trentaine) moururent de faim en protégeant la collection, au sein du bâtiment où ils étaient littéralement entourés de nourriture. Le conservateur de la collection de riz mourra entouré de sacs de riz. Les scientifiques spécialisés en tuberculoses qui supervisaient la vaste collection de l’Union Soviétique (avec 6 000 variétés conservées), succombèrent en protégeant leurs pommes de terre dans leur souterrain jusqu’à la fin.
Si les graines avaient été mises à germer et que leurs fruits avaient été consommées, le travail de leur prédécesseurs aurait disparue. Leur mission était de cataloguer et conserver le matériel génétique par l’expansion de la connaissance, pour tous. Même en pleine guerre mondiale, avec une société s’écroulant de toute part.
Les graines qui ont évité l’a famine à l’URSS
Leurs morts représentent un véritable acte de foie que les choses s’amélioreraient. Car ces botanistes et travailleurs de l’Institut Vavilov étaient convaincus que, plus loin que la valeur de la science, les graines seraient fondamentales pour récupérer après le conflit. Ils ne se sont pas trompés : certains calculent indiquent que 80 % des cultures soviétiques de l’après-guerre provenaient de cette réserve. L’énorme quantité de graines horticoles et leur minutieuse classification ont permis de rechercher celles qui s’adapteraient le mieux au terrain dévasté par la guerre et au climat de chaque région. Il ne fait aucun doute qu’elles ont contribué de façon décisive à éviter la faim dans l’Union Soviétique.
La collection de graines regroupées par l’Institut Vavílov est reflété dans les presque milles quatre cents banques de graines existantes actuellement. L’une des plus importantes est la banque de graines du millénaire, géré par le Jardin Botanique de Kew (Royaume Unis), qui abrite quelque 34 000 espèces végétales, soit 13 % des espèces sauvages de notre planète. D’autres banques de graines ont suivi, par exemple l’imprenable Svalbard Global Seed Vault, également connu sous le nom de « Doomsday Vault » qui a été ouvert en Norvège en 2008 en tant que « copie de sécurité » des fonds les plus importants des banques de graines du monde, où sont stockés des échantillons congelés de leurs collections de graines et qu’ils peuvent reproduire au cas où elles seraient perdues à la suite de conflits armés, d’actes terroristes ou de catastrophes naturelles.
Mais aucune n’a autant de poids émotionnel où ne possède une histoire aussi émouvante que celle se trouvant dans le cœur de Saint-Pétersbourg. À l’heure actuelle, l’Institut Vavílov continue de fonctionner grâce aux sacrifices d’une poignée d’être humain responsables et avec une éthique. Toutes les graines que Nikolái Vavílov et ses travailleurs ont conservé au coût de leur vie, se trouvent à l’Institut et sont même parfois envoyées dans d’autres Instituts de recherches dans le monde entier, avec une collection toujours plus importantes comprenant de nouvelles espèces apportés à travers des échanges avec d’autres banques modernes.
Le destin tragique et ironique de Nikolái Vavílov
Mais durant le siège de Leningrad, il manquait déjà le directeur de la banque de graines. Car l’institution gardait le fruit de vingt ans de recherche mené à bien par l’un des héros les plus méconnus de la science du 20eme siècle : le botaniste et généticien russe Nikolái Vavílov, qui a dédié sa vie à essayer d’éradiquer la faim dans le monde.
Contre vents et marées, les scientifiques de l’Institut Vavílov ont maintenu cette collection jusqu’à nos jours, sacrifiant leur vie pour cela.
Sans aucun doute, le début de cette histoire se trouve dans le projet commencé 20 ans plus tôt par ce botaniste, considéré comme le « père des banques de semences modernes » et qui a voyagé dans de nombreux pays (Amérique du Nord, Afghanistan, Chine, Japon, Corée, Amerique Latine…) pour créer la plus grande collection de graines de l’époque. Son idée était qu’il existe des « centres d’origine » des plantes cultivées, c’est-à-dire des lieux où ont commencé leur sélection, leur domestication et leur amélioration ; et dans lesquels il est possible de trouver des variétés sauvages de chaque espèce actuelle.
Ce biologiste a également réalisé l’une des premières avancées importantes en génétique végétale en présentant la « loi des séries homologues dans la variation héréditaire », qui entre autre, a prédit la probabilité de découvrir de nouvelles variétés de plantes.
Même si au départ il s’agissait d’un scientifique avec beaucoup de prestige et qui durant les premières années de sa carrière avaient pu compter sur le soutien du gouvernement bolchevique (il a même reçu le Prix Lenin, quelque chose de similaire au Nobel en URSS), après la mort de Lenin, la situation de Vavílov se compliqua et il tomba en disgrâce à cause de sa défense pour la génétique, qui pour les soviétiques était une « pseudoscience bourgeoise ».
Stalin croyait en une hypothèse scientifique à présent discréditée : l’hérédité des caractéristiques acquises. L’« homme » socialiste engendrerait une progéniture socialiste. Trofim Lysenko, son conseiller scientifique de confiance, l’a soutenu. Comme le défendait alors cet agronome ukrainien, la génétique était une science inventée par le capitalisme pour donner une justification biologique à la différence de classe. Lysenko défendait que l’évolution était guidée par l’hérédité des traits acquis », une ligne de pensée qui dérivait du lamarckisme et s’opposait à la sélection naturelle. Nikolai Vavílov, le vrai scientifique, était considéré comme un ennemi de l’État pour ne pas suivre cette ligne de pensée. Il est donc arrêté en 1940 et emprisonné, un an avant le début du siège de Léningrad.
Un héritage éternel pour les générations à venir
Mais avant d’être condamné à l’oubli, Nikolái Vavílov aida à transformer les universitaires en botanique et a été l’un des premiers scientifiques à écouter les agriculteurs, y compris les agriculteurs traditionnels et les paysans, qui estimait que la diversité des semences était importante dans leurs champs. Vavílov a amassé une collection de quelque 220 000 variétés différentes de graines, ce qui a stimulé la création de huit centres de sélection d’origine des cultures, des stations de culture scientifique dispersées dans toute l’Union soviétique qui lui ont permis d’expérimenter différentes espèces dans différentes zones climatiques. Il a donc cherché à savoir quelles étaient les cultures idéales pour chacun. Son engagement et son dévouement envers les semences sont inégalées et témoignent de sa préoccupation pour l’avenir de l’agriculture.
Au cours de sa vie, il s’est rendu compte de la nécessité de conserver les semences, mais en raison de la collectivisation des fermes privées par Staline et de leur transformation en chaînes de montage, aucun agriculteur ne possédait sa terre ni ne contrôlaient ses cultures. Staline utilisa Vavílov comme un bouc émissaire, le blâmant pour la faim et l’échec de ses collectivités agricoles, le jetant comme un chien dans l’obscurité d’un goulag éloigné. Après plus de 18 mois à manger du chou congelé et de la farine moisie, le botaniste qui a tenté pendant plus de 50 ans de mettre fin à la famine dans le monde, mourut de faim.
Aujourd’hui Nikolai Vavílov, bien que peu connu au-delà des livres d’histoires, occupe une place prépondérante dans l’Olympe des hommes de science illustre. Sa mémoire a été restaurée près de trois décennies après sa mort, lorsqu’en 1968 l’institut fondé par le botaniste à Saint-Pétersbourg se baptisa Institut Vavílov pour l’Industrie Végétale. Heureusement, son effort et celui de ses collaborateurs en à certainement value la peine.
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Source :
- Large-scale whole-genome resequencing unravels the domestication history of Cannabis sativa. Nicolas Salamin, Luca Fumagalli, Ying Li, Kate Ridout. 2021 Jul 16.
- Vavilov and his Institute. A history of the world collection of plant genetic resources in Russia. Por Igor G. Loskutov (Frankel Fellow-1993)